Une « affaire Môquet » ?
Publié par cedric - le 16/09/2007

PARIS-PROVINCE. Par Jean-Claude Guillebaud, paru dans Sud Ouest de ce jour

Cette « affaire Môquet », si l’on peut s’exprimer ainsi, me trouble énormément. Au départ, j’avais trouvé plutôt bonne l’idée très sarkozyenne de rendre hommage à ce jeune adolescent communiste, fusillé par les Allemands le 22 octobre 1941 à Châteaubriant, avec 26 de ses camarades. Je me disais, après tout, c’est une figure de l’histoire de France. A ce titre, elle appartient à tout le monde. C’est ce qu’avait probablement pensé Henri Guaino, « plume républicaine » de Sarkozy et auteur de cette trouvaille présidentielle : inviter la France entière à rendre hommage au jeune fusillé communiste de dix-sept ans et demi. Pourquoi pas ?

Voilà plus de 60 ans que sa mémoire est honorée à gauche, et notamment au PC dont il fut un ardent militant. Tout comme son père Prosper, député communiste du 17e arrondissement. Mais pas seulement à gauche. Ne fut-il pas cité dès 1944 à l’ordre de la Nation ? Ne fut-il pas reconnu comme « résistant » par un décret du général de Gaulle ? Depuis 1946, une rue du 17e arrondissement et une station de métro ne portent-elles pas son nom ? Sans compter le stade de la ville de Drancy rebaptisé Guy-Môquet en signe de « rachat » d’un passé municipal passablement collabo. Alors ? Figure nationale, en effet, et qui n’est, en tant que telle, ni de droite ni de gauche. Que la dernière lettre de Guy superbe de courage gai soit lue le 22 octobre prochain dans les lycées de France, ce ne serait donc là qu’une manière d’hommage national. C’est d’abord ainsi que j’ai raisonné.
Puis, peu à peu, je me suis ravisé. A bien réfléchir, non, ça ne marchait pas. Pourquoi donc ? Parce que depuis quelque temps, Guy Môquet n’est plus seulement une « figure » du Panthéon républicain. Des textes, des livres, des photos ont redonné chair et vie à sa mémoire. J’ai eu sous les yeux quelques-uns de ces livres qui font revivre la figure du gamin rieur qui, la veille de sa mort, griffonnait à la jeune Odette Nilès dont il était amoureux, les lignes suivantes : « Ma petite Odette, je vais mourir avec mes 26 camarades. Ce que je regrette, c’est de n’avoir pas eu ce que tu m’as promis. Mille grosses caresses. De ton camarade qui t’aime. »
Mais ces publications récentes nous ramènent aussi à l’univers familial, social, culturel et politique de Guy Môquet. C’est-à-dire à la classe ouvrière, aux luttes du petit peuple de Clichy ou de Saint-Ouen, aux jeunes pionniers du 17e qui, comme Guy, vendaient « L’Huma » et « La Vie ouvrière » sur les trottoirs du boulevard Bessières ou bien cavalaient du côté des « fortifs » au milieu des Manouches et des réfugiés espagnols. Sur certaines photos, on découvre ces gars en canadienne qui fêtent la victoire du Front populaire dans les cours d’usines ou ces enfants qui partent vers la mer dans des autobus bourrés. On redécouvre aussi des familles à vélo, des syndicalistes en costume, un peu graves, comme ce Jean-Pierre Timbaud, patron de la fédération des métaux, qui sera fusillé lui aussi. Tous ces hommes et toutes ces femmes sont debout, et joyeux. Ils participent d’une culture, d’une tradition, d’une fidélité encore vivante.
Avec de telles images, de tels mots, de telles phrases remises en tête, il est difficile d’accepter la sollicitude rétrospective et manoeuvrière de Nicolas Sarkozy. Non, ce n’est pas possible. Rien de tout cela, rien de l’univers dont Guy Môquet était le produit ne peut décidément « coller » avec le Fouquet’s, les vacances de milliardaires, les gourmettes et le goût du clinquant, les yachts de Bolloré, les risettes à George Bush et les stratégies médiatiques qui ratissent large. La mémoire de ce gavroche de la rue Baron, savez-vous, ne méritait pas une opération de communication aussi froidement calculatrice…

Rien de l’univers dont Guy Môquet était le produit ne peut « coller » avec le Fouquet’s, les yachts de Bolloré, les risettes à George Bush et les stratégies médiatiques qui ratissent large